Les Champs Libres
10, cours des Alliés
35000 Rennes

Du mardi au vendredi 12h – 19h
Samedi et dimanche 14h – 19h
Fermé les lundis et jours fériés

À l’initiative des Champs Libres et de 40mcube, Benoît-Marie Moriceau réalise pour le bâtiment de Christian de Portzamparc un projet artistique en deux volets, l’un présenté à l’intérieur, dans la salle d’exposition, et l’autre dans l’espace public, visible depuis le point de vue privilégié que constitue la bibliothèque.

Le travail de Benoît-Marie Moriceau prend des formes et des échelles particulièrement diverses. De la modification infime de l’espace d’exposition à l’intervention massive dans l’espace public, il est difficile de qualifier catégoriquement sa nature. Ceci n’exclut en rien la cohérence qui relie les projets artistiques qu’il développe depuis une quinzaine d’années. Le point commun de ses œuvres demeure la prise en compte du contexte dans lequel elles sont présentées ou de l’environnement depuis lequel elles sont visibles, de sa configuration spatiale à son histoire et ses usages. Le travail de Benoît-Marie Moriceau a donc à voir avec le site, quel que soit sa typologie. Par extension, il aborde des questions de proportion et de point de vue qui mettent en jeu l’expérience physique du visiteur autant que ses possibles lectures et interprétations.

Chaque projet donne lieu à une recherche préparatoire nourrie de multiples ressources iconographiques et d’histoires relevant de différents domaines de connaissance. Ce travail d’observation et d’enquête lui permet de décliner des propositions artistiques toujours polysémiques, révélant certains aspects cachés ou déjà visibles mais auxquels on ne prête pas nécessairement attention. S’il nous amène à regarder le lieu d’une autre façon, c’est pour donner une large place au sensible et à l’imaginaire.

Pour son projet aux Champs Libres à l’invitation de 40mcube, l’artiste réunit et met en dialogue plusieurs aspects distincts de sa pratique et de son parcours artistique : une installation visible à l’échelle d’un panorama et une exposition intérieure qui donne à voir, sous la forme d’un vaste décor, une collection ou un inventaire d’œuvres représentées à échelle réduite. À partir de l’architecture des Champs Libres et de son implantation dans la ville mais aussi de la qualification de cet équipement culturel qui rassemble bibliothèque, espace des sciences et musée patrimonial, il développe une exposition en deux volets qui met en jeu des espace-temps démultipliés.

La puissance des échelles
Le titre de l’exposition renvoie à cette sensation troublante que l’on peut éprouver lorsque l’on tente de se figurer l’amplitude des échelles des choses et du temps. À l’instar du documentaire Powers of Ten réalisé en 1977 par les designers Charles & Ray Eames, Benoît-Marie Moriceau associe une logique d’échantillonnage à un principe systémique de trame ou de graduation visuelle.

Le film dont il s’inspire prend comme origine et comme unité de mesure la vue aérienne de deux personnages allongés dans un parc à Chicago. La caméra qui les filme est placée à un mètre au-dessus d’eux. Elle va progressivement prendre du recul, permettant au fur et à mesure d’élargir le champ de vision sur ce qui entoure la scène initiale. La largeur et la hauteur du cadrage de la scène sont multipliées par dix toutes les dix secondes, jusqu’à ce que l’on parvienne aux limites observables de l’univers. Dans un mouvement d’accélération, la caméra fait machine arrière, pour revenir sur la main de l’homme, toujours allongé sur l’herbe. Elle effectue alors un zoom avant pour arriver cette fois à l’échelle du plus petit élément connu : le quark.

Le court métrage évoque, par la simple illustration d’une opération exponentielle, l’abîme de l’espace qui nous entoure et qui nous constitue. S’aventurer à calculer l’incommensurable, édifier l’impossible ou comprendre l’inexplicable, c’est risquer ce vertige qui nous replace à la mesure de ce que nous sommes. L’espace, ses mesures et ses représentations ont quelque chose d’irrémédiablement énigmatique, ils touchent aux limites de nos sens, de notre connaissance et de notre conscience intelligible. Les mathématiques, l’optique, la géométrie, associés à l’imagerie scientifique et à l’art, sont des issues possibles pour aborder des dimensions inconnues et s’imaginer, traduire ou rendre tangible ce qui, par essence, nous est invisible ou mystérieux.

L’exposition
En pénétrant dans l’exposition, on découvre une vaste toile imprimée qui s’étend sur presque toute la hauteur et la longueur de l’espace. Uniformément éclairée, la surface colorée tient lieu de décor pour une suite de quatre modules qui prennent la forme de vitrines ou de dioramas. Identiques structurellement et proportionnellement, ces modules sont répartis dans l’espace de façon aléatoire. Sporadiquement, des matériaux de construction sont présentés entreposés ou disséminés en tas, créant une sensation d’accumulation ou d’échantillonnage et produisant l’effet d’un paysage synthétique.

L’exposition est conçue comme un tout, une installation à part entière que le visiteur aborde d’un premier balayage visuel mais qu’il peut aussi appréhender par strates successives. L’ensemble met en jeu une succession d’espaces et de temporalités imbriquées, comme si l’on piochait des livres au hasard dans une bibliothèque et qu’on tissait des liens en croisant des informations prélevées ici et là. On y découvre une suite d’objets sculptés, de représentations de lieux ou d’architectures investis d’une histoire particulière qui, comme dans un cabinet de curiosité, ne répondent à aucune autre logique que celle de son collectionneur – ici l’artiste.
Ces maquettes, typiques des expositions d’architecture ou des dispositifs muséaux, incarnent des œuvres disséminées dans l’espace et le temps, déjà réalisées ou non par Benoît-Marie Moriceau. À travers cette espèce d’état des lieux, il s’agit de montrer par enchaînement comment chaque proposition artistique joue avec son contexte d’apparition, l’expérience de l’œuvre et ses jeux temporels. Il s’agit également de donner une autre vie à des œuvres ayant existé temporairement ou étant restées au stade d’idées, d’esquisses ou de plans. Comme dans une vitrine muséale, chaque projet est projeté dans un espace réinventé suggérant, par accumulation, une mise en abyme. La succession des pièces raconte aussi, à rebours, un processus artistique fait de recherches, de voyages, d’histoires personnelles, d’un parcours jalonné de ruptures et de discontinuités. Des œuvres qui se croisent, se juxtaposent et font écho, à l’échelle réduite, à l’intervention que l’artiste réalise en parallèle dans l’espace public de Rennes.

Des signaux dans la ville
Dans la bibliothèque des Champs Libres, Benoît-Marie Moriceau a pris le parti de surdéterminer le point de vue en agissant directement à l’intérieur du paysage urbain. S’il n’est pas question ici d’un panorama d’exception comme la vue imprenable sur un massif montagneux, sur une mégalopole ou sur la mer, il s’agit malgré tout de mettre à profit un regard élargi sur la cité. Intervenir à l’échelle d’une étendue urbaine, c’est éprouver des capacités et des limites qui sont celles de notre vision. C’est aussi se confronter aux règles qui régissent l’occupation de l’espace public ou privé et définir une stratégie d’infiltration qui produit du sens poétique.

Le projet consiste à installer pour une durée de six mois des sources lumineuses perceptibles en plein jour. Les dispositifs génèrent une suite de scintillements à la fois intenses et furtifs qui créent un réseau lumineux dynamique et aléatoire dans le tissu urbain. La lumière est visible mais d’une manière si fugace qu’elle met à l’épreuve la persistance rétinienne de l’observateur. L’artiste applique à cette intervention lumineuse la logique constructive et séquencée de la musique minimale, confiant au musicien Pierre Lucas la charge d’établir une composition rendue silencieuse qui sert de base au déclenchement des flashs lumineux. Il s’est appuyé pour cela sur des principes de partitions visuelles comme celle de l’ Atlas Eclipticalis de John Cage ou à des phénomènes naturels comme le mode de communication des lucioles. Une fréquence est intégrée à chaque dispositif et son déclenchement est programmé aux heures d’ouverture de la bibliothèque. La fréquence se joue en boucle et c’est l’effet du décalage temporel qui fait progressivement varier la composition de l’ensemble générant un effet aléatoire.

Plutôt que de définir l’emplacement des sources lumineuses en fonction de points d’intérêts dans la ville ou d’une composition visuelle déterminée de façon purement arbitraire, l’artiste a choisi de s’appuyer sur une situation circonstancielle et un principe de hasard. Ainsi, un appel à participation a été lancé via les réseaux sociaux et par la diffusion d’une annonce dans la presse locale. Les habitants qui aperçoivent la bibliothèque depuis chez eux ont été invités à se manifester. Dans un périmètre de 1500 mètres de distance, une vingtaine de sites ont ainsi été choisis pour installer les dispositifs qui constituent l’installation.

Depuis la bibliothèque des Champs Libres, le lecteur qui déambule dans les rayonnages ou celui dont le regard s’échappe distraitement de son livre, pourra discerner ce signal, un appel destiné à atteindre le regardeur dans son déplacement et peut-être même l’interrompre dans son activité tel un punctum. Ces ponctuations agissent sur l’espace public dont la perception relève autant d’un acte individuel que d’un ensemble de contributions accomplies de façon orchestrée et silencieuse…

Anne Langlois / Benoît-Marie Moriceau

Consultez ici l’entretien et la documentation filmée à l’occasion de l’exposition. Réalisation : Margaux Germain. Coproduction : Réseau documents d’artistes – Documents d’Artistes Bretagne. Collection d’entretiens filmés du Réseau documents d’artistes – 2018.

Partenaires de l’exposition : Bauraum, Groupe Legendre, Lendroit Éditions, Model and Co, My Lucky Pixel, PanoramaRoad, PierroTechnics, Polyrepro, Smart Machines, Stergann, Teschner – Sturacci, Tolila + Gilliland, Urban Maquette

Partenaire média : Les Inrockuptibles.